Entretien avec le Dr Abdirachid Mohamed Ismail, enseignant-chercheur de l’université de Djibouti et consultant dans le domaine de la formation et du renforcement du capital humain

Au sein de toute société de service, les employés d’une entreprise privée ou publique et les indépendants, tentent souvent d’élargir leurs capacités dans le but d’améliorer leur savoir. Aussi les fonctions des employés et leurs compétences évoluent avec une allure qui va vite.  À cet effet nous nous sommes entretenues avec Abdirachid Mohamed Ismail, enseignant-chercheur de l’université de Djibouti, sur les thématiques de la formation professionnelle qui est un outil majeur à la disposition de tous les actifs comme les salariés, les indépendants, les chefs d’entreprise ou les demandeurs d’emploi.   

La Nation : Vous concourez aux missions du Cabinet Alliance qui propose des formations et des renforcements des capacités, que ce soit pour les employés ou les organisations. Pouvez-vous nous expliquer en premier lieu ce que vous faites au juste ?

Abdirachid Mohamed Ismail : Tout d’abord, je suis un enseignant-chercheur de l’Université de Djibouti et Consultant dans le domaine de la formation et du renforcement du capital humain comme vous venez de le mentionner. Ce cabinet me permet de concilier mes deux domaines de spécialité, à savoir  l’enseignement et l’organisation en entreprise. A l’intérieur de ces deux domaines, deux thématiques constituent le cœur de mes interventions, à savoir la communication et le management. J’interviens essentiellement dans ces deux thématiques qui couvrent un large spectre de formations et d’accompagnement auprès des organisations.

Plus concrètement, pouvez-vous nous parler de vos actions, démarches et procédés ?

Très bien. Le but de toute organisation, qu’elle soit à but lucratif ou non, cherche à être efficace et productive. Pour arriver à ce but, les experts sont unanimes pour lier ce but à son capital humain, à savoir le niveau de formation, de compétence et de motivation de ses employés. Et nous n’avons pas besoin d’étudier beaucoup pour savoir qu’un personnel bien formé, bien encadré et motivé, impactera positivement son organisation et lui permettra d’atteindre ses objectifs. La question  est : où commence ce processus d’efficacité pour une entreprise ou une organisation ? Nous pensons que toute organisation, cela commence au recrutement. Toute organisation qui vise l’excellence sera attentive à son processus de recrutement.

La deuxième étape  de ce processus, ce sera l’intégration du ou de la recrue dans l’organisation, une étape que les organisations négligent malheureusement. Si la personne recrutée est laissée à son compte, qu’elle n’est pas orientée, managée d’une façon appropriée et conforme aux objectifs de son poste, elle ne tardera pas à noter un  manque de l’organisation vis-à-vis de ses activités.  Le/a nouveau venu finira se fondre dans l’atmosphère ambiante qui, dans ce cas de figure, se caractérise par le relâchement. La troisième étape de ce processus d’efficacité et du renforcement de son capital humain, c’est la phase centrale, celle du management du personnel, qui elle comprend plusieurs volets que nous ne pouvons pas détailler tous ici. Parmi ces volets, il y a naturellement celui de la formation, qui est une des activités importantes de Conseil Alliance.

Chaque personne qui souhaite se former a une raison. Mais quelles peuvent être les raisons selon vous pour se former ?

C’est une grande question.  La formation est notre moteur de croissance. Depuis notre arrivée au monde, nous nous développons par la formation. Tout d’abord celle que nos parents nous communiquent à tour de rôle ou collectivement, puis celle de la famille un peu plus élargie, incluant la fratrie et l’entourage immédiat, puis l’école et enfin l’université. Jusqu’à là c’est une formation reçue de l’extérieure, ensuite devrait commencer notre auto-formation, à laquelle de façon ultime l’université nous prépare. Dans le cadre de cette auto-formation, on va s’instruire en complétant ou approfondissant des savoirs reçus, ou en acquérant des nouveaux à travers des formations formalisées, ou de l’auto-apprentissage. Le but de cela étant de travailler à son propre auto-épanouissement. Il ne faut pas croire que la formation s’arrête à l’acquisition de savoirs techniques utilisables uniquement dans le cadre professionnel.

Nous avons différents états d’être, un état physique, psychique, intellectuel ou spirituel. On peut les catégoriser différemment, mais chacun de ses états à un besoin propre. La formation c’est ce qui permet de remplir ces besoins, elle est la seule façon que nous avons de développer l’ensemble de notre potentiel. Connaissons-nous l’ensemble de notre potentiel ? Sur le plan physique, un peu, mais sur les autres plans, les connaissons-nous ? La réponse est non, les autres états sont des réservoirs de potentialités dont nous utilisons une infime partie…

Vous avez parlé de la formation au sein de la famille, de l’école, de l’université, de l’auto-formation, mais vous n’avez pas évoqué la formation dans l’entreprise. Pouvez-vous dire un mot ?

Comme nous le disions tout à l’heure, les ressources humaines sont considérées comme le premier capital de l’entreprise. En effet, ce qui fait d’une entreprise une structure vivante qui peut croître, se développer, c’est son capital humain. Tous les autres types de capitaux (financier, technologique, immobilier, etc.), aussi importants soient-ils, ne peuvent seuls lui assurer une survie pérenne. La croissance d’une entreprise se fait parallèlement à la croissance de son capital humain, en qualité et en quantité. Et qu’est-ce qui peut augmenter la qualité de son personnel et de sa productivité, si ce n’est la formation. Pour l’entreprise, ce n’est pas seulement un devoir social pour continuer à former son personnel, mais c’est aussi une nécessité économique. La corrélation entre un personnel bien formé et sa rentabilité économique n’a plus besoin de preuve.

Si vous deviez conseiller une entreprise dans son plan de formation, qu’est-ce que vous lui diriez ?

C’est une très bonne question, car on pense souvent aux formations techniques, qu’on appelle aussi  formations de spécialité. On forme une personne  en comptabilité, en informatique, en droit, en gestion de projet, en vente, en RH,  etc. Ce sont des formations qui ont un but précis pour booster le savoir-faire d’une personne dans un domaine particulier. Mais il y aussi les formations en soft douce, plus connues sous le nom anglais de soft skills. Leurs appellations de compétences humaines, compétences de vie, ou compétences transversales ont dit long de leur importance pour l’être. Des  études à grande échelle menées par les géants du net, Google et LinkedIn, ont montré, que ce qui détermine l’avancement des carrières à plus de 80%, ce sont ces compétences soft. Plus de 90% des professionnels du recrutement se fondent en grande partie sur ces compétences dans leur choix.  Et nous aussi nous  constatons chez les entreprises que nous accompagnons ces mêmes faits : une personne qui a des hautes compétences humaines, non seulement avance vite dans son travail, mais apporte aussi beaucoup plus de satisfaction que les personnes qui ont peu développé leurs compétences humaines.  La question est : c’est quoi ces compétences humaines ? Ce sont les compétences d’adaptation, de communication, de motivation, de patience, d’écoute, de respect, de pardon, de ponctualité, d’aptitude relationnelle, d’intelligence émotionnelle, de capacité de résolution de problème ou de conflit, d’empathie, de gestion de temps, de prise d’initiative, de présentation,  d’autonomie, etc. Il y a plus d’une quarantaine de compétences répertoriées dont on a mesuré l’impact sur la productivité de l’individu et de l’organisation. La plus importante de ces compétences étant la communication, appelée « mère des soft skills », car elle fait appel à la moitié de ces compétences. 

Pour répondre donc directement à votre question, je dirais que toute organisation, de quelque nature et taille qu’elle soit, elle besoin former l’ensemble de son personnel à ces compétences. Ces compétences construisent l’être humain de l’intérieur, elles les attachent à un centre à la fois universel et local, lié à ses valeurs et son écosystème. A partir de ces formations, on installe une culture d’organisation, une enveloppe culturelle partagée, qui impacte positivement son environnement de travail. Mais pour ancrer cette enveloppe, il faut procéder méthodiquement et progressivement.

Concernant les motifs qui poussent à agir, que faut-il pour que les salariés soient amenés à se dépasser et qu’ils aient de meilleurs résultats ?

L’être humain, pour avancer et se parfaire,  a besoin à la fois de contraintes et d’espaces d’expansion, comme la respiration. Ce qu’on appelle communément « le bâton et la carotte », pour le dire plus grossièrement. Mais il nous faut faire attention, Les deux doivent être subtilement équilibrés pour faire avancer la personne que l’on manage, qui est la plus grande responsabilité d’un manager.  S’il y en a sans l’autre, il ne peut y avoir de management efficace. Car, même s’il n’y a que la carotte, à un certain moment, la personne va réclamer plus de carottes, et si elle ne les reçoit pas, elle va se démotiver. Parfois, dans nos organisations, on rencontre des personnes qui pensent que leur salaire est un acquis, et que toute tâche qui sort un tant soit peu de son périmètre habituel de fonctionnement, doit se traduire par une prime. Comment motiver de telles personnes ? Ce n’est pas simple en effet. C’est une question de management global.

                                                                                                       Propos recueillis par Djibril Abdi Ali