Dans l’histoire contemporaine de Djibouti, peu d’institutions incarnent avec autant de clarté la volonté d’indépendance intellectuelle et de souveraineté culturelle que le Centre de Recherche, d’Information et de Production de l’Éducation Nationale, plus connu sous le nom de CRIPEN. Depuis sa création en 1990, cette institution du Ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFOP) joue un rôle central dans la définition des politiques éducatives, la production de manuels scolaires, la formation des enseignants et la mise en œuvre des réformes pédagogiques. Au-delà de sa mission technique, le CRIPEN est devenu, au fil des décennies, un véritable symbole d’émancipation nationale : celui d’un pays qui a choisi de concevoir, par lui-même, le savoir qu’il transmet à ses enfants.

De la dépendance à la maîtrise du savoir

Les premières années qui ont suivi l’indépendance furent marquées par une dépendance presque inévitable vis-à-vis des structures éducatives héritées du système colonial et de la coopération internationale. Si ces appuis furent essentiels, ils ne permettaient pas de répondre pleinement aux réalités sociales, culturelles et linguistiques du pays. Le besoin d’un système éducatif propre, capable de transmettre les valeurs djiboutiennes tout en formant des citoyens ancrés dans leur temps, se fit rapidement sentir.

Dès le début des années 1980, cette aspiration prit forme à travers la création de deux bureaux pédagogiques distincts : l’un pour le primaire, l’autre pour le secondaire.

Leur mission était ambitieuse. Il s’agissait de repenser le système éducatif national et d’adapter les méthodes d’enseignement aux spécificités du pays. C’est dans cette dynamique que s’enracine le projet du CRIPEN, officiellement créé le 8 avril 1990 par décret présidentiel, avec le soutien de la Banque mondiale.

Dès ses premières années, le centre posa les fondations d’un modèle novateur. Ses cadres, formés à l’étranger, revinrent avec une expertise solide qu’ils mirent au service du développement d’un système éducatif plus cohérent, plus moderne et surtout plus national. Ce fut un tournant majeur pour Djibouti, qui passait du statut de simple bénéficiaire de programmes extérieurs à celui d’acteur autonome de sa propre politique éducative.

L’innovation pédagogique au cœur de la mission

Le CRIPEN, dès ses débuts, s’est illustré par sa capacité à innover. L’introduction de l’Approche Communicative dans l’enseignement du français, au début des années 1990, a marqué une étape décisive. Cette méthode, centrée sur l’expression orale et la compréhension, rompait avec les modèles classiques pour offrir une pédagogie plus active et participative. Les premiers manuels du primaire conçus par des enseignants djiboutiens virent alors le jour. Pour la première fois, les enfants du pays apprenaient à lire et à écrire dans des ouvrages pensés et rédigés par leurs propres éducateurs.

En 1996, le CRIPEN s’installa dans ses locaux du quartier du Héron. Ce bâtiment, moderne et fonctionnel, devint un véritable pôle de recherche et de créativité. Les équipes y menèrent un travail de fond sur la production de contenus éducatifs, la recherche pédagogique et la formation. La Radio Scolaire Éducative, qui émettait déjà depuis quelques années, connut un essor considérable, élargissant sa programmation et touchant un public bien au-delà des salles de classe.

L’institution s’imposa rapidement comme une référence nationale en matière d’innovation éducative. Ses manuels, ses guides pédagogiques et ses documents audiovisuels contribuèrent à améliorer la qualité de l’enseignement et à uniformiser les pratiques. L’imprimerie du CRIPEN, encore hébergée à l’époque dans les locaux de l’Inspection primaire, fonctionnait à plein régime pour répondre à la demande croissante des écoles.

Le tournant des États généraux de 1999

Neuf ans après sa création, le CRIPEN aborda une nouvelle phase de son développement. En 1999, les États généraux de l’Éducation nationale marquèrent une étape fondatrice. L’institut fut au cœur de l’organisation de cet événement majeur : il produisit l’ensemble des documents écrits, audiovisuels et logistiques nécessaires aux travaux préparatoires et aux débats. À l’issue de ces assises, le centre fut chargé d’une mission capitale : la réforme complète des programmes scolaires et l’édition des nouveaux manuels pour tous les niveaux d’enseignement. Cette réforme donna une nouvelle dimension à l’action du CRIPEN. Il ne s’agissait plus seulement de produire des outils pédagogiques, mais de repenser en profondeur le contenu même de l’enseignement. À travers cette transformation, le centre confirma sa vocation première : être le laboratoire où se construit la pédagogie nationale, le lieu où se conçoit le savoir qui fonde l’identité éducative du pays.

Un centre structuré et moderne

Trente-six ans après sa création, le CRIPEN se distingue par une organisation solide et une vision claire. Placé sous l’autorité d’une direction générale, il s’articule autour de trois grands pôles : la Direction de l’Administration et des Ressources financières, la Direction de la Recherche pédagogique et de l’Édition, et la Direction de la Communication.

La première supervise la gestion du personnel, la passation des marchés et le contrôle de la qualité des productions. La seconde pilote la recherche, la rédaction et l’expérimentation des programmes, en veillant à la cohérence entre les contenus et les réformes curriculaires. La troisième, enfin, gère la communication interne et externe, la Radio et la Télévision Scolaires Éducatives, ainsi que la documentation et le site web du centre.

Cette structuration claire a permis au CRIPEN d’assurer une continuité et une rigueur exemplaires dans la conduite de ses missions. Aujourd’hui, il demeure au cœur du dispositif éducatif, garantissant la cohérence entre les politiques du livre, les outils pédagogiques et la stratégie nationale de formation.

Un acteur de l’innovation et de la coopération africaine

Le rôle du CRIPEN dépasse largement les frontières de Djibouti. Au fil des ans, il est devenu un acteur reconnu sur la scène régionale et africaine. Ses experts ont pris part à de nombreux séminaires et rencontres continentales, partageant l’expérience djiboutienne dans le domaine de la recherche éducative, de la réforme curriculaire et de l’édition scolaire.

En 2002, le centre organisa un séminaire régional sur l’éducation de base et les curricula, puis, en 2009, un séminaire interafricain sur l’édition des manuels scolaires. Ces rencontres ont permis à Djibouti de se positionner comme un modèle de réussite dans la maîtrise de sa politique éducative. Dans le même temps, le CRIPEN a multiplié les projets d’envergure : production de manuels bilingues, élaboration de curricula du primaire et du moyen selon l’Approche par les compétences, création d’unités de recherche documentaire et de cartographie, renforcement de la publication assistée par ordinateur et développement de la production audiovisuelle. Chaque projet, chaque innovation, a contribué à faire du CRIPEN un instrument de modernisation et d’autonomie intellectuelle.

Une mission élargie au service du développement

Le CRIPEN, c’est aussi une institution engagée dans les grands enjeux de société. Ses productions et ses programmes intègrent des thématiques transversales comme la santé, la citoyenneté, la culture de la paix ou la lutte contre les pandémies. Des campagnes de sensibilisation sur le VIH, l’hygiène scolaire, la population et l’environnement ont été menées à travers la Radio et la Télévision Scolaires Éducatives. Ces initiatives montrent que l’éducation, telle que la conçoit le CRIPEN, va bien au-delà des manuels : elle touche à la vie, à la conscience et à la responsabilité citoyenne.

L’institution s’est également distinguée par la publication du journal Éduc-Info, véritable vitrine du savoir-faire national. Ce périodique bimestriel offre un espace d’échanges et de réflexion sur les pratiques éducatives, valorisant le travail des enseignants, des chercheurs et des formateurs.

L’avenir numérique et la valorisation de la culture nationale

Aujourd’hui, à l’heure de la transformation digitale, le CRIPEN aborde une nouvelle étape de son évolution. Conscient des enjeux du numérique, il mise sur la production de manuels et de guides pédagogiques numériques, la création de plateformes interactives et la diffusion d’œuvres littéraires d’auteurs djiboutiens. L’objectif est double : moderniser les outils pédagogiques tout en valorisant la culture nationale.

Ce virage numérique s’accompagne d’une ambition plus large : mettre en place une véritable chaîne éducative, capable de réunir télévision, radio et plateformes numériques autour d’une même mission de service public. À terme, cette chaîne permettra de renforcer l’accès à des ressources éducatives de qualité, tout en soutenant la formation continue des enseignants et l’apprentissage des élèves.

Une institution symbole de l’identité éducative djiboutienne

Plus de trois décennies après sa création, le CRIPEN demeure fidèle à sa vocation initiale : garantir à la jeunesse djiboutienne une éducation conçue sur mesure, enracinée dans ses valeurs et ouverte sur le monde. Il incarne la vision du Président de la République, Son Excellence Ismaïl Omar Guelleh, qui a toujours fait de l’éducation un pilier central du développement national.

À travers ses réalisations, le centre prouve qu’il est possible, pour un petit pays, de bâtir un modèle éducatif autonome et performant. Il illustre la capacité de Djibouti à produire du savoir, à inventer ses propres outils et à définir les contours de sa pédagogie. En cela, le CRIPEN n’est pas seulement un organisme de recherche et de production : il est le reflet de la souveraineté intellectuelle du pays, un véritable laboratoire du savoir national.

En regardant son parcours, on mesure le chemin accompli depuis les premières années d’indépendance. De simples bureaux pédagogiques à un institut d’excellence reconnu, le CRIPEN a su évoluer, s’adapter et innover. Et, à travers lui, c’est toute la nation djiboutienne qui affirme, chaque jour, sa maîtrise du savoir et sa foi dans l’éducation comme moteur de progrès et de dignité.