Six journalistes. Six visages effacés en un instant par une frappe israélienne sur Gaza. Parmi eux, Anas Al Sharif, reporter vedette d’Al Jazira, accusé sans preuves par l’armée israélienne d’être un « terroriste » du Hamas. À ses côtés, Mohammed Qreiqeh, ses confrères Ibrahim Al Thaher et Mohamed Nofal, et deux indépendants, Mahmoud Aliwa et Mohammed Al Khaldi.

J’insiste sur leurs noms parce que c’est important de les nommer tous. Tous tués alors qu’ils se trouvaient sous une tente, abri précaire dressé près de l’hôpital Al Shifa, pour faire leur métier : témoigner. Ce massacre n’est pas un « dommage collatéral ». Il est revendiqué. L’armée « la plus morale du monde » assume de cibler les journalistes et de les abattre pour réduire au silence ceux qui documentent ses crimes. C’est un message glaçant adressé à toute la profession : ne filmez pas, n’écrivez pas, ou vous serez la prochaine cible.

Depuis des mois, les noms s’accumulent, les visages s’effacent dans la poussière des bombardements : journalistes palestiniens, photographes, correspondants étrangers. Tous ciblés. Pas par erreur, pas dans le chaos imprévisible du front, mais avec la précision clinique d’un tir choisi. Les organisations de défense de la presse ont fourni les preuves et les coordonnées GPS de journalistes clairement identifiés. Et pourtant, la mort tombe toujours.

Mais peut-être plus révoltant encore que le crime, c’est l’omerta des grandes démocraties occidentales. Celles-là mêmes qui, la main sur le cœur, jurent leur attachement à la liberté de la presse, mais qui, face à l’entité sioniste, se muent en statues muettes. Les mêmes capitales qui s’indignent lorsqu’un reporter est tué en Russie, en Iran ou en Chine, détournent ici le regard. Elles avalent leur indignation par calcul stratégique ou par lâcheté diplomatique.

Ce double standard est une insulte non seulement à la mémoire des journalistes assassinés, mais aussi à la crédibilité des valeurs que cette partie du monde prétend défendre. Car à force de tolérer l’intolérable lorsqu’il vient d’un allié, on finit par se rendre complice.

La vérité n’a pas de drapeau. La protéger ne devrait pas dépendre de la géopolitique du moment. Laisser tuer les témoins, c’est accepter que demain, il n’y ait plus personne pour dire ce qui s’est réellement passé. Et ce jour-là, il ne restera que les mensonges des vainqueurs.