
Djibouti a lancé hier un forum national majeur consacré à l’agrobusiness, marquant une étape stratégique dans sa quête de souveraineté alimentaire. Organisé à Ayla Grand Hotel , l’événement réunit pendant trois jours l’ensemble des acteurs publics et privés du secteur agricole autour d’une ambition commune : transformer durablement le système agroalimentaire du pays pour faire face à ses défis structurels et environnementaux.

Le forum, intitulé « Djibouti Agro-Business 2030 : innover, investir, transformer pour une agriculture durable et résiliente », est le fruit d’une collaboration étroite entre le ministère de l’Économie et des Finances, chargé de l’Industrie, et le ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Mer, chargé des Ressources Halieutiques. Il s’inscrit dans une volonté gouvernementale claire de rompre avec une dépendance alimentaire critique ( le pays important actuellement plus de 80 % de ses denrées alimentaires) en développant une agriculture adaptée à ses contraintes géographiques et climatiques.

L’ouverture du forum s’est tenue en présence de figures de proue du gouvernement, dont le ministre de l’Économie et des Finances, M. Ilyas Moussa Dawaleh, le ministre de l’Agriculture, M. Mohamed Ahmed Awaleh, ainsi que la ministre déléguée au Numérique et à l’Innovation, Mme Mariam Hamadou Ali. Plusieurs hauts cadres de l’administration, des représentants des partenaires techniques et financiers, des ONG, des coopératives agricoles, des PME, des chercheurs, ainsi que de jeunes innovateurs ont également répondu à l’appel.
Cette diversité d’acteurs traduit la transversalité de l’enjeu agricole à Djibouti. Car il ne s’agit pas seulement de cultiver plus: il s’agit de repenser en profondeur les logiques de production, de transformation, de distribution et de consommation, dans un pays à la fois aride et en pleine transition économique.

L’agrobusiness désigne l’ensemble des activités économiques liées à la production, à la transformation et à la commercialisation des produits agricoles.
À Djibouti, ce secteur ne représente actuellement qu’une fraction modeste du PIB national — moins de 3 % selon les dernières données officielles. Mais les perspectives de développement sont considérables, à condition de structurer une vision claire, des investissements ciblés et une approche adaptée aux spécificités du territoire.
Dans ce contexte, le forum a vocation à jouer un rôle catalyseur. Il s’appuie sur une feuille de route ambitieuse à l’horizon 2030, articulée autour de quatre filières prioritaires : le maraîchage, la culture du dattier, l’élevage caprin et l’aquaculture.

Quatre filières stratégiques pour un avenir durable
Le maraîchage : Cette filière vise l’autosuffisance partielle pour des légumes de consommation courante comme les tomates, les oignons et les piments. L’objectif affiché est d’atteindre 90 % de couverture des besoins nationaux à l’horizon 2030. Des initiatives pilotes, appuyées par des technologies d’irrigation adaptées et des semences résilientes, ont déjà permis d’obtenir des résultats encourageants dans certaines régions du pays.
Le dattier : La filière dattière est aujourd’hui en pleine expérimentation, notamment dans la plaine de Hanlé où des cultures in vitro sont testées pour favoriser l’introduction d’espèces mieux adaptées. L’objectif est double : développer une culture à forte valeur ajoutée et renforcer la sécurité alimentaire à travers un fruit nutritif et bien adapté aux zones arides.

L’élevage caprin : Djibouti possède un cheptel important, mais les infrastructures d’élevage et d’abattage restent peu développées. Des investissements ciblés sont envisagés pour améliorer la qualité de la viande et du lait, tout en assurant de meilleures conditions sanitaires et économiques aux éleveurs.
L’aquaculture : Véritable alternative à la pêche traditionnelle, cette filière est perçue comme un levier écologique et économique. La richesse des eaux territoriales ouvre la voie à des projets d’élevage de poissons, crevettes ou algues, capables de soutenir l’économie locale tout en préservant les ressources marines.
Dans son intervention inaugurale, le ministre de l’Agriculture, M. Mohamed Ahmed Awaleh, a souligné la nécessité d’adopter une vision pragmatique. « Dans notre écosystème alimentaire aride, nous n’allons pas produire de la canne à sucre ou des céréales en masse. Nous allons cibler nos priorités, être modestes et miser sur nos avantages comparatifs », a-t-il déclaré, insistant sur le rôle central des quatre filières identifiées. Cette approche repose sur un principe clair : mieux vaut développer peu, mais efficacement. À travers la sélection de cultures et de systèmes de production adaptés, Djibouti entend éviter les écueils d’un développement agricole mal calibré, tout en maximisant les rendements, la qualité et la durabilité.
Prenant la parole à son tour, le ministre de l’Économie, M. Ilyas Moussa Dawaleh, a rappelé l’apparente contradiction entre les contraintes naturelles du pays et ses ambitions agricoles. Mais pour lui, cette contradiction est justement une force : « Djibouti est un petit pays, certes, mais il rayonne mondialement. Nous avons investi des milliards de dollars dans des infrastructures qui font de nous un hub régional de connectivité. Nous sommes également le premier pays d’Afrique en termes d’infrastructures de télécommunications. »
À partir de cette position stratégique, le ministre appelle à une réinvention audacieuse du modèle de développement. « Pourquoi ne pas croire que nous pouvons produire à Djibouti, pour Djibouti, et par les Djiboutiens eux-mêmes ? », a-t-il lancé avec conviction, appelant à tirer parti de la technologie pour surmonter les contraintes climatiques.
L’innovation au cœur des stratégies agricoles
L’un des temps forts de cette première journée a été la présentation de projets structurants déjà en cours, dont le Projet d’Appui aux Filières Agricoles Résilientes (FAR), le Projet d’Entrepreneuriat des Jeunes pour l’Adaptation au Changement Climatique (PEJAC), et le Projet de planification à l’investissement dans l’agriculture intelligente face au climat (CSAP). Ces initiatives mettent l’accent sur l’implication des jeunes, l’intégration des technologies agricoles modernes, et la planification stratégique à long terme.
Un panel thématique sur les opportunités d’investissement dans la filière aquacole a également attiré l’attention, avec des experts locaux et internationaux venus partager leurs expériences. Il en ressort que l’attractivité de Djibouti en matière d’investissements agricoles repose sur la stabilité politique du pays, la vision claire des autorités et un engagement fort en faveur de l’innovation.
Les deux journées suivantes du forum s’annoncent riches en débats et en échanges. Des panels thématiques, des expositions, des tables rondes et la présentation d’une stratégie nationale pour le développement agricole à l’horizon 2030 sont au programme. L’enjeu est de traduire les discours en actions concrètes, d’identifier les financements nécessaires, et de mettre en place les partenariats publics-privés qui permettront de concrétiser les ambitions. Au-delà de la simple tenue d’un événement, le forum sur l’agrobusiness constitue un moment fondateur pour l’agriculture djiboutienne. Il porte un message fort : celui d’un pays prêt à se réinventer, à investir dans ses ressources humaines, à valoriser ses potentiels, et à construire, filière par filière, les bases d’un avenir alimentaire plus autonome, plus résilient et plus équitable.
Sadik Ahmed