
Lors d’une conférence organisée par l’Institut français de Djibouti, l’écrivain et intellectuel Idriss Youssouf Elmi a livré une réflexion vibrante sur le pouvoir silencieux mais profond de la lecture. Plus qu’un loisir, lire apparaît comme un geste politique, un espace de ressourcement et une façon d’habiter le monde autrement.
Dans l’imaginaire collectif, lire reste souvent associé à la solitude, au calme, à un moment de répit dans le tumulte du quotidien. Pourtant, comme l’a brillamment démontré l’écrivain djiboutien Idriss Youssouf Elmi mercredi dernier lors d’une conférence littéraire organisée à l’Institut français de Djibouti, la lecture est loin d’être une activité passive. Elle est, au contraire, un acte de résistance, un levier de transformation sociale, et un cheminement personnel profond. Avec un style mêlant humour, lucidité et sensibilité, Idriss Youssouf Elmi a invité le public à reconsidérer ce geste en apparence banal : ouvrir un livre, lire quelques pages, s’y perdre, s’y retrouver. Car lire, c’est bien plus que cela. C’est vivre autrement. C’est exister pleinement.

Lire, un geste de liberté
Dans un monde saturé de sollicitations, de discours dominants et d’informations incessantes, lire devient un acte de tri, un exercice de discernement. « Lire n’est jamais neutre », a insisté l’écrivain. C’est un choix. Celui de ralentir, de prendre le temps de comprendre, d’interroger ce qui paraît évident.
À Djibouti, dans les quartiers populaires comme dans les zones rurales, chaque livre ouvert, prêté, partagé devient une petite lumière. Une étincelle d’autonomie dans des contextes parfois marqués par l’exclusion ou le manque d’accès au savoir. Dans un pays où les inégalités éducatives persistent, lire relève d’un geste citoyen, presque militant.
Un enfant qui découvre les mots, une mère qui lit en cachette après une longue journée, un jeune qui trouve refuge dans les lignes d’un roman, tous participent, à leur manière, à un mouvement de fond. Celui d’une société qui cherche à se comprendre, à s’exprimer, à exister autrement que par la consommation ou la réactivité des réseaux sociaux.
Lire pour mieux habiter le silence
Mais la lecture n’est pas seulement engagement ou résistance. Elle est aussi intimité. Un retour vers soi. Un moment rare de calme, de silence habité. Elle offre un espace intérieur précieux, une cabane mentale tapissée de mots, où l’on peut enfin respirer.
C’est là toute la beauté du geste : dans un monde bruyant, lire permet de s’écouter. Un roman lu dans une salle d’attente, un poème murmuré dans la pénombre, une nouvelle dévorée pendant une nuit d’insomnie… Tous ces instants sont autant de rendez-vous avec soi-même. La lecture devient alors un miroir, un soin silencieux, une forme de thérapie douce et presque gratuite.
Dans un pays comme Djibouti, où la santé mentale reste un sujet peu abordé publiquement, la lecture peut jouer un rôle apaisant. Elle permet d’ouvrir un espace de réflexion personnelle, de mettre des mots sur des maux, d’explorer ses émotions sans crainte ni jugement. Lire, dans ce contexte, c’est aussi se soigner, se réconcilier avec soi-même.
Lire pour rêver debout
Au-delà de l’engagement et de l’introspection, lire est une façon d’élargir son horizon. De vivre mille vies sans quitter sa chaise. De voyager sans passeport, de rencontrer des inconnus, des auteurs, des idées, des personnages. C’est une aventure immobile mais immensément fertile.
Dans une société où les discours sont souvent formatés, où la parole se heurte à la rapidité des tweets et à la brutalité des polémiques numériques, la lecture propose une alternative : celle de la lenteur, de la nuance, du mot juste. Elle invite à la complexité, à la profondeur, à la réflexion. Elle permet aussi de créer du lien. Les cercles de lecture, les bibliothèques de rue, les échanges autour d’un livre favorisent la naissance d’une parole collective. À Djibouti, ces espaces – bien que rares – se développent peu à peu, portés par des passionnés, des enseignants, des bénévoles. À travers le livre, on se découvre frère ou sœur d’âme d’un inconnu. On partage plus qu’un texte : une vision du monde, un espoir.
Lire pour désobéir en douceur
Lire, c’est enfin apprendre à penser par soi-même. À remettre en question. À désobéir, non par provocation, mais par exigence. Chaque lecteur, en silence, devient un être qui interroge, qui doute, qui résiste à l’évidence. Et cela, dans une société, est fondamental.
Face à l’uniformisation des idées, à la pensée unique qui guette même les esprits les plus avertis, la lecture est un antidote. Elle forme des citoyens plus critiques, plus lucides, plus créatifs. Elle donne les outils pour comprendre, débattre, proposer.
Comme l’a souligné Idriss Youssouf Elmi, lire, c’est habiter le monde autrement. C’est refuser le prêt-à-penser, le zapping intellectuel, l’oubli de la profondeur. C’est se construire une pensée propre, lente mais solide.
Une urgence douce à Djibouti
Dans le contexte djiboutien, où l’accès au livre reste encore inégal, lire devient une urgence discrète. Une nécessité qui ne fait pas de bruit mais qui, jour après jour, change les choses.
Chaque bibliothèque qui ouvre, chaque livre qui circule, chaque enfant qui découvre le plaisir de lire est une victoire. Lire devient alors un acte de résistance face à la fracture éducative, une réponse concrète aux défis d’une jeunesse avide de sens, souvent livrée aux écrans ou confrontée au décrochage scolaire.
Mais cette responsabilité ne peut reposer uniquement sur l’État ou les institutions culturelles. Elle incombe aussi à chacun d’entre nous : parents, enseignants, associations, journalistes, libraires, citoyens. Faire vivre le livre, le faire circuler, le partager dans les maisons, les écoles, les quartiers, c’est participer à une révolution douce. Une révolution qui ne détruit rien mais qui construit en silence.
Un livre, un être debout
En somme, lire est une manière de rester debout dans un monde qui, parfois, pousse à courber l’échine. C’est une manière de dire non sans crier. D’aimer sans dominer. De rêver sans renoncer. À Djibouti comme ailleurs, cette manière d’être devient plus précieuse que jamais.
Plus un peuple lit, plus il devient libre. Plus il raconte son histoire, plus il existe. Plus il se lit lui-même, plus il se comprend.
À la question posée lors de cette conférence – « Lire : un acte citoyen ou une raison d’être ? » – il n’existe pas une seule réponse. Mais peut-être suffit-il de dire :
« Je lis, donc je vis. »
Souber