
Dans une décision historique rendue le 29 septembre 2025, la London Court of International Arbitration (LCIA) a donné raison au Port de Djibouti (PDSA) face à la multinationale émiratie DP World, marquant un tournant décisif dans le long différend opposant la République de Djibouti à l’opérateur portuaire depuis 2018. Dans une interview exclusive accordée jeudi à la presse nationale, M. Hassan Issa Sultan, Inspecteur Général de l’État, est revenu en détail sur l’affaire et présenté un exposé synthétique sur les récents résultats du litige entre la République de Djibouti et DP World suite à résiliation de la concession du Terminal à Conteneurs de Doraleh (DCT) survenue en février 2018.

Monsieur l’Inspecteur Général de l’État, nous savons que depuis 2018 la Société DP World essayait par tous les moyens possibles de contester les décisions souveraines de la république de Djibouti. Le London Court of International Arbitration vient récemment de rendre une décision défavorable à DP World dans le litige qui l’oppose à la République de Djibouti. Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste ce verdict et en quoi est-elle différente des autres décisions rendue précédemment ?
Inspecteur Général de l’État : Pour bien répondre à votre question, il est nécessaire de revenir sur l’historique de ce dossier. Comme vous le savez, la République de Djibouti a résilié la concession de la société Doraleh Container Terminal (DCT) en février 2018 car ce contrat de concession était contraire aux intérêts supérieurs de la Nation en remettant en cause la souveraineté économique du pays. Suite à la résiliation de la concession, l’État a créé une société nommée Société de Gestion du Terminal à Conteneurs de Doraleh (SGTD) détenu à 100% par l’Etat afin d’assurer la gestion de cette infrastructure portuaire qui est vitale pour le pays. Le terminal à conteneur de Doraleh est géré depuis février 2018 par un personnel entièrement djiboutien.
Les actions de la société dont la concession était résiliée étaient détenues par deux (2) actionnaires, le Port de Djibouti qui détenait 66,66% du capital et DP World qui détenait 33,33% du capital de cette dernière. Ce port dont les activités ont démarré en 2009 a été finalisé grâce à des fonds propres mobilisés conjointement par les deux actionnaires et par un emprunt contracté par la coentreprise et totalement garanti par la République de Djibouti. Après la résiliation de la concession, la nouvelle société SGTD opère le terminal à Conteneur comme un opérateur normal sans mettre en cause la souveraineté ainsi que les intérêts supérieurs de la nation. Par la suite, l’Etat a entamé des négociations avec les anciens actionnaires de la société DCT dont la concession a été résiliée, c’est-à-dire le Port de Djibouti et DP World. Le Port de Djibouti a accepté de négocier avec l’Etat et a été indemnisé équitablement en 2019. Le Port de Djibouti s’est vu offert 66,66% du capital de la nouvelle société SGTD en échange des actions qu’il détenait (66,66% du capital) dans la société DCT.
DP World, pour sa part, a refusé de négocier avec l’Etat et a décidé d’engager une véritable guérilla judiciaire et médiatique. Elle a intenté des arbitrages et des procédures judiciaires contre l’État, contre PDSA et contre d’autres sociétés privés intervenant dans le secteur des infrastructures national à Londres, aux Etats-Unis et à Hong-Kong.
Elle a d’abord intenté des arbitrages contre la République de Djibouti à Londres devant la London Court of International Arbitration.
L’Etat n’a pas participé à ces arbitrages car un arbitre se base sur les clauses du contrat pour départager les deux partenaires en conflit, comme les clauses du contrat de concession était contraire à la souveraineté de notre pays, la République de Djibouti n’a pas participé à ces arbitrages. Ainsi, DP World a gagné ces deux arbitrages en produisant des fausses informations. Ce qui est normal, puisque dans un arbitrage commercial, la partie absente perd généralement. Mais un de ces arbitrages était une procédure invraisemblable puisque c’est la société DCT, dont la République de Djibouti était désormais l’actionnaire majoritaire, qui poursuivait irrégulièrement la République de Djibouti.
Par ailleurs, la société était en administration provisoire et DPWorld et ses avocats ne pouvaient intenter une action judiciaire au nom de DCT. Ainsi la société DCT, et non DPWorld, a obtenu irrégulièrement une décision condamnant la République de Djibouti a versé à DCT un montant de 474 millions de dollars américains.
L’exécution de cette décision sera rejetée le 30 juillet 2024 par la Cour d’appel du District de Columbia (USA), au motif que des avocats non autorisés tentaient de poursuivre la République de Djibouti. Par conséquent, cette première décision d’arbitrage prononcée contre la République de Djibouti est de fait, privée d’effet et inapplicable à cause de la décision du tribunal américain.
Une deuxième décision condamne la République de Djibouti à verser un montant d’environ 200 millions de dollars à DPWorld. Toutefois, il convient de souligner que DP World n’a aucune chance de recouvrer cette somme, car elle ne peut rien obtenir d’un Etat souverain qui ne dispose d’aucuns actifs commerciaux à l’étranger. En effet, les actifs souverains d’un État sont insaisissables.
Comme DP World n’a rien obtenu et n’obtiendra rien de l’Etat, elle a décidé d’attaquer le Port de Djibouti (PDSA), en lui réclamant une indemnisation pour les prétendus dommages financiers, et les pertes d’image qu’elle affirme avoir subi à cause de la résiliation de la concession du Terminal à Conteneurs de Doraleh. Elle évalue ces prétendus dommages à près d’un (1) milliard de dollars américains.
Le Port de Djibouti a décidé de se défendre dans cette procédure d’arbitrage et a obtenu gain de cause. En effet, la London Court of International Arbitration a rendu sa décision le 29 septembre 2025 en rejetant les réclamations de DP World comme étant infondée. Elle a jugé que la décision de résiliation de la concession relevait d’une décision souveraine de la République de Djibouti et que la société PDSA n’était en rien responsable, puisqu’elle même a été affectée par cette résiliation. Le tribunal a aussi ordonnée à DP World de rembourser un montant de 1,85 millions de dollars américains pour l’ensemble des frais de justice que le Port de Djibouti avait engagé.
Qu’est-ce qui explique ce revers, et quels éléments nouveaux ont fait basculer la décision?
En réalité, on peut tout essayer, mais la vérité et la justice finissent toujours par l’emporter. Il faut rappeler que ces procédures sont longues. Nous devons reconnaitre que le dossier a été solidement défendu : le Port de Djibouti a su assurer sa défense, tout comme l’Etat a su préserver ses propres intérêts. Il convient également de souligner que le Port n’a aucun lien avec la décision de résiliation, ce qui a conduit le tribunal à juger que les demandes de DP World étaient injustifiées et infondées.
Maintenant que le Port de Djibouti a obtenu gain de cause, DP World peut-elle encore faire appel?
Dans une procédure d’arbitrage, la décision est définitive, contrairement dans le système judiciaire classique, il n’existe pas des voies de recours et des procédures d’appel.
Depuis la résiliation de la concession, DP World pensait gagner contre la République de Djibouti en la menaçant avec des procédures judiciaires et arbitrales. Elle espérait aussi que les activités du port allaient s’arrêter, ça n’a pas été le cas, car l’État avait pris toutes les dispositions nécessaires en amont pour éviter cela. Par ailleurs, le Port dispose d’un personnel compétent et motivés qui ont su relever le défi pour sauvegarder les intérêts du pays.
Par ailleurs, il faut savoir que le port à doubler ses performances en dépassant largement le chiffre de 1,2 millions d’EVP en 2024 alors qu’avec la gestion de DPWorld on n’atteignait même pas les 600.000 EVP par an.
Un mot pour conclure
Enfin, Il faut reconnaitre que depuis la résiliation de la concession à ce jour beaucoup d’obstacles se sont érigés sur notre chemin et notre pays a su les dépasser grâce à la ferme volonté du président de la République, Son Excellence Monsieur Ismail Omar Guelleh. Il n’a jamais accepté la remise en cause de notre souveraineté économique et il nous a permis de relever tous les défis par tous les moyens. Par la grâce de Dieu, ces efforts ont porté leurs fruits.
En conclusion la République de Djibouti réaffirme, comme précisé dans le communiqué du 30 septembre 2025, seul un accord direct entre la société DP World et la République de Djibouti garantissant les légitimes des deux parties et la souveraineté de la nation sur ses infrastructures stratégiques permettra de clore le conflit commercial avec DPWorld.
Propos recueillis par Zouhour Abdillahi