Les premiers rayons du soleil commencent timidement à dissiper l’épaisse écharpe de la nuit qui enveloppe la capitale djiboutienne alors que le quatre roues de Mohamed Aden a déjà pris le dernier virage avant l’entrée de la route nationale numéro un (RN1) qui doit le mener dans la zone franche internationale de Djibouti, où siègent les locaux de sa société.

La trentaine florissante, l’homme est ingénieur automobile de profession. Aden est l’un de ces diplômés djiboutiens qui, comme il le dit souvent, ont été emportés par la grosse vague d’opportunités suscitée par la création de la nouvelle zone franche internationale de Djibouti (DIFTZ) pour se lancer dans l’entrepreneuriat privé avec le soutien du Fonds de développement économique de Djibouti. “Vous savez, le lancement de la DIFTZ a été pour moi, comme pour beaucoup de mes concitoyens, la dernière partie du puzzle du rêve d’une vie : celui de réussir et prendre part, à son niveau, au développement économique du pays”, a-t-il affirmé aux confrères de Xinhua sans quitter une seule seconde la route des yeux.

Un rêve qui prend vie chaque jour un peu plus. Cinq mois après l’ouverture de son entreprise versée dans l’importation de pièces détachées de voitures, “le rêve” de Mohamed Aden prend vie chaque jour un peu plus dans l’enceinte de la zone. “Pour toutes les sociétés présentes ici dans la DIFTZ, on peut dire que les affaires se portent bien et l’horizon reste très dégagé. Honnêtement, nous avons trouvé ici un cadre légal propice à la croissance et un environnement pour aller de l’avant”, a-t-il confié à Xinhua.

Un enthousiasme que l’on retrouve dans les propos de Nadia Mansour, jeune cadre d’une société de communication, qui salue pour sa part une courbe en crescendo du nombre d’entreprises qui s’installent à la DIFTZ. Inaugurée en juillet 2018 par le Président Ismaïl Omar Guelleh en présence de plusieurs chefs d’Etat africains, dont les Présidents djiboutien, rwandais, soudanais et somalien, ainsi que du Premier ministre éthiopien, la nouvelle zone franche internationale de Djibouti, construite par la société chinoise China Merchants Group, est destinée avant tout à devenir le plus grand espace franc de commerce du continent africain. Elle a pour objectif de créer un environnement adéquat pour l’installation des entreprises nationales et étrangères qui seront exonérées de tout impôt.Selon les autorités djiboutiennes, l’impact économique attendu sur le PIB de la zone franche sera de 200 millions de dollars américains, soit 11% du PIB dans la phase pilote d’exploitation sur 2,4 km². Viendra ensuite une montée en puissance aux horizons 2035 et 2040, dans sa phase d’extension, qui rapportera de 2,5 à 4 milliards de dollars.

Le Président de la République de Djibouti avait déclaré, lors de l’inauguration de la DIFTZ, que ce projet d’envergure reflétait la volonté d’investissement de la Chine dans le continent africain, et affirmait également une vision du développement que met en pratique son pays et qui se fond dans l’intégration régionale, “seule construction collective porteuse de solidarité et d’efficacité”.

Une immense « ruche d’emplois » de l’intérieur comme de l’extérieur.  M. Ismaïl Omar Guelleh avait annoncé par ailleurs à cette occasion que cette nouvelle zone franche serait une source d’espérance pour des milliers de jeunes demandeurs d’emploi dans sa phase pilote, évoquant un premier chiffre de 12.000 emplois qui pourrait s’élever, à terme, à plus de 350.000.

“Les économistes sont formels : un emploi créé dans une zone franche engendre deux autres emplois en dehors”, avait-il alors soutenu.

Une vérité qui semble se confirmer chaque jour un peu plus sur le terrain. En effet, la zone franche internationale de Djibouti, située à une vingtaine de kilomètres au sud de la capitale djiboutienne, est partie pour devenir une immense “ruche d’emplois” de l’intérieur comme de l’extérieur.

En huit mois seulement, la DIFTZ a transformé radicalement tout le paysage de sa périphérie. Du désert de sables et de cailloux qui englobait tout autour du site, l’on assiste aujourd’hui à l’apparition de services en tous genres, de la restauration à la création d’une nouvelle ligne de transport en commun en passant par des kiosques et autres boutiques de vente au détail. Il faut dire que les choses sont allées très vite pour la centaine de familles installées au PK 22, l’unique village situé près du site de la DIFTZ. Et personne, parmi elles, n’avait prévu ce phénomène.

“Marqués par un chômage endémique qui semble être éternel, on a été les premiers à bénéficier d’embauches durant la phase de construction. A cette époque déjà, on avait presque chacun deux emplois. Le matin, on prenait part à la construction, et la nuit on faisait du gardiennage. Aujourd’hui, tout le village travaille encore à la DIFTZ. Nous avons zéro chômeur”, s’exclame Farah Wais, l’un des doyens du village qui n’en revient toujours pas. Et ce n’est pas tout : les habitants de PK 22 contrôlent la majeure partie des activités commerciales annexes engendrées par le lancement de la zone franche et certains réussissent même déjà à diversifier leurs affaires.

Propriétaire de l’une des premières gargotes ouvertes lors la phase de construction du site, et qui est toujours en activité, Aicha Ali, veuve et mère de cinq enfants, vient d’acheter un taxi-tricycle qui fait ici office de premier mode de transport en commun reliant la capitale à la DIFTZ.

Même si ses enfants sont encore en bas âge et qu’elle a confié son taxi-tricycle à un cousin comme chauffeur, elle ne compte pas s’arrêter là. Elle veut ouvrir une grande boutique à côté de sa gargote, devenue depuis un restaurant. “Je crois que je suis tout près de réaliser prochainement mon rêve de toujours : commercer dans le prêt-à-porter depuis Dubaï”, lâche-t-elle du bout des lèvres, comme pour bien garder encore quelque temps une confidence qu’elle aimerait pourtant voir se concrétiser très rapidement.

La DIFTZ, un pari réussi. S’il y a bien une personne qui n’est nullement surprise par l’engouement de cette nouvelle donne, c’est bien Aboubaker Omar Hadi, le président de l’Autorité des ports et zones franches de Djibouti. Pour lui, moins d’un an seulement après son lancement, la nouvelle zone franche internationale de Djibouti est un projet majeur et surtout un pari capital réussi pour son pays.

“La DIFTZ fait partie du plan global 3+1, en partenariat avec la China Merchant et Dalian Port, qui consiste à créer un cercle vertueux grâce au développement simultané d’une zone industrielle et d’une zone financière qui appuieront nos installations maritimes. Aujourd’hui, sans aucun doute, nous pouvons dire que ce projet pharaonique marque une étape clé du parcours de Djibouti pour justement devenir un centre mondial du commerce”, s’est-il réjoui.

Un point de vue partagé par Abdoulkarim Aden Cher, secrétaire national du Bureau djiboutien du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP), l’outil africain de la bonne gouvernance par excellence. A ses yeux, la mise en service de la zone franche et les rôles qui lui sont dédiés témoignent que l’Afrique a enfin pris le sentier de la bonne gouvernance économique.

M. Cher s’est dit, en outre, convaincu que la DIFTZ atteindrait un rôle crucial dans l’avènement de l’intégration économique de la région et du continent. Situé sur la deuxième route maritime la plus fréquentée du monde, au carrefour des échanges entre l’Afrique de l’Est, la péninsule arabique, l’Asie et l’Europe, et port d’entrée du Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA) fort de plus de 400 millions de consommateurs, Djibouti a su tirer profit de sa position géostratégique pour se placer désormais au cœur du projet de la nouvelle Route de la soie maritime. Mais pour l’ancien chroniqueur politique djiboutien, Omar Ahmed Moussa, si Djibouti occupe une place de choix dans ce projet, ce n’est pas seulement la position de ce petit Etat de 23.000 km² et 900.000 habitants qui a beaucoup joué dans la multiplication des investissements chinois sur son territoire.

“Si la Chine a su renforcer considérablement son statut de premier partenaire commercial et économique à Djibouti, en multipliant cette dernière décennie les investissements dans de gigantesques projets d’infrastructure, notamment portuaires, aéroportuaires ou ferroviaires, il ne faudra pas oublier également que les deux pays entretiennent aussi des relations diplomatiques qui ont su traverser le temps et les tensions. Et cette année marque justement le 40ème anniversaire des relations d’amitié et de coopération entre les deux pays”, a-t-il fait savoir.

Selon un sondage du cabinet d’intelligence économique Oxford Business Group (OBG) réalisé en septembre dernier, 71% des dirigeants d’entreprise djiboutiens prévoient que la croissance du PIB atteindra entre 6% et 8% en 2019.

Pour les auteurs de cette étude, la concrétisation de cette performance va s’appuyer en grande partie sur la stratégie de planification et de prospective du gouvernement djiboutien, qui vise à transformer le pays en une économie à revenu intermédiaire et à en faire une plaque tournante en matière de transport et de logistique. Autrement dit, elle passera tout simplement par la réussite de la mission de la zone franche internationale de Djibouti.

Sources : ADI, Xinhua